Pour mes fans (!), quelques résultats de la recherche que je mène présentement sur les conceptions alternatives en chimie au cégep...
Confusion dans les termes
En questionnant les élèves sur différentes notions de chimie – notamment, la structure moléculaire et la polarité des composés – je me suis aperçu que certains d’entre eux utilisaient à mauvais escient des termes qui font pourtant partie du vocabulaire courant de cette discipline. L’apprentissage de la chimie passe bien entendu par l’apprentissage d’une certaine nomenclature; certains chapitres sont d’ailleurs exclusivement destinés à cette fin. Je pense ici bien sûr aux normes pour nommer les composés chimiques (la nomenclature systématique ou traditionnelle), mais aussi à la description exacte des appareils de laboratoire, qui ont tous des noms aussi précis que l'est leur utilisation.
Mais il y a d’autres termes de vocabulaire qui font moins l’objet d’un enseignement systématique. Je pense à mes collègues, qui se disent : « On n’enseigne pas du ‘par cœur’ en chimie, ce qu’on enseigne peut se raisonner, s’appliquer, se pratique ». C’est vrai à bien des égards, mais une certaine partie de ce qu’on veut que nos élèves gardent de leurs premiers pas en chimie, c’est de posséder une base de connaissances qui leur permettra ensuite de poursuivre ou non des études dans le domaine, mais qui au moins leur procurera une culture chimique de base.
Ces termes, ces mots de vocabulaire, qui forment la trame de cette culture chimique de base et permettent aux élèves ensuite de raisonner et de s’exprimer en invoquant les concepts exacts, sont toutefois moins bien maîtrisés que ce qu’on pense. Enfin, c’est ce que j’avance, et voici les preuves à l’appui!
[Les données qui suivent proviennent d’une recherche en cours, menée auprès d’élèves de sciences de la nature du cégep.]
Mauvaise utilisation du terme « molécule »
Pour moi qui m’intéresse particulièrement à la notion de structure moléculaire, soit la forme que les molécules prennent dans l’espace, ma supposition de départ prévoyait que les élèves de cégep connaissaient, maîtrisaient et manipulaient le mot « molécule » de façon correcte. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai vu un certain nombre, assez conséquent, d’élèves qui semblaient confondre ce mot avec un autre : le mot « atome »!
On pourrait dire que l’atome est à la molécule ce que le cheveu est à la chevelure (haha! Je viens de changer de couleur de cheveux, alors tout m’y fait penser!). Mais cette comparaison a sa pertinence et ses failles; faisons l'exercice, et acceptez svp mes idiosyncrasies!. Un cheveu est fragile, il ne peut pas être brossé, si on le perd on ne s’en aperçoit pas. Mais la chevelure est résistante (pensons au Grand Antonio) et si elle tombe d’un coup, on sera nettement plus inquiet que si on ne perdait qu’un cheveu! On peut dire que l'atome est aussi différent de la molécule que le cheveu l'est de la chevelure, mais certaines propriétés d'un cheveu influencent la chevelure qu'il compose, lorsqu'on le retrouve avec de très nombreux collègues.
Lorsqu’ils sont reliés entre eux par un type de liaison particulier, qu’on appelle liaison covalente, dans une unité discrète, les atomes forment une molécule. Bien que les deux, atome et molécule, sont de taille trop petite pour être observés, on pourrait dire que la molécule est un objet plus proche de ce qu’on peut observer à l’échelle macroscopique que ne le sont les atomes. Les modèles qui décrivent la forme et le comportement des atomes et des molécules sont différents, mais les scientifiques s’accordent à dire que ce sont les propriétés des atomes qui donnent leurs propriétés aux molécules.
Par exemple, certains atomes attirent plus fortement les électrons que d’autres. Pensons par exemple à l’atome de fluor qui attire plus fortement les électrons que l’atome d’hydrogène. Ainsi, une molécule composée d’un atome de fluor lié à un atome d’hydrogène sera polaire, c’est-à-dire que le côté du fluor aura une charge partielle négative (conférée par les électrons qui se retrouvent délocalisés vers le fluor) et que le côté de l’hydrogène sera partiellement positif (à cause d’un certain manque d’électron).
On dit d’un atome qui attire fortement les électrons dans une molécule qu’il est électronégatif. La conséquence sur une molécule comme le fluorure d’hydrogène est que la molécule sera dite polaire.
Toutefois, un des élèves que j'ai questionnés a écrit dans une de ses réponses : « De plus, le O en fait une molécule très électronégative. » C’est une confusion dans les termes : l’oxygène est très électronégatif, ce qui fait que la molécule est polaire. Une molécule n’est pas électronégative…
Un autre élève a dit, pour expliquer la forme que la molécule de IF5 adoptait : « Parce qu’elle a cinq groupements de molécules ». Cet élève aurait dû dire que l’atome d’iode (I) était entouré de cinq atomes de fluor, pas de cinq molécules de fluor.
Dans le même sens, pour parler de la molécule de SOCl2, un élève explique « Les deux molécules de Cl peuvent seulement effectuer une liaison chacune ». Encore une fois, il voulait parler des atomes de Cl, et non des molécules de Cl.
On pourrait avancer qu’il ne s’agit ici que d’erreurs d’inattention, que les élèves ont écrit « molécule » alors qu’ils voulait écrire « atome », mais comme c’est une observation qui est récurrente chez plusieurs élèves différents, la thèse de l’erreur d’inattention ne tient pas vraiment la route.
Plus éloquent, cet élève qui utilise deux fois le mot molécule, une fois de façon correcte, et plus loin dans la même phrase, en le confondant avec le concept d’atome : « Car, dans une molécule de glucose, il y a 24 molécules […] ». Cette phrase est un contre-sens; c’est comme dire que dans un épi de maïs, il y a plusieurs épis… Un autre élève manifeste la même confusion : « Molécule=plusieurs molécules ensembles [sic] tandis que c et d est un composé ionique. »
Le concept de molécule est-il compris?
Ces observations du vocabulaire invoqué dans les explications est révélateur d’un certain problème d’apprentissage. Mais qu’en est-il lorsque les élèves ont directement à travailler sur une tâche qui leur demande de différencier une molécule d’un autre concept? Manifestent-ils toujours cette confusion?
La question suivante a été posée à 11 élèves :
Les résultats à cette question sont assez parlants :
Seulement 18 % de l’échantillon, soit 2 élèves, a répondu que a et b uniquement représentaient des molécules. La majorité des élèves a plutôt pensé que toutes ces représentations étaient des molécules. Toutefois, le schéma c montre un composé ionique, soit un réseau d’espèces chimiques qu’on appelle des ions liés par des liaisons ioniques, formant un réseau continu plutôt qu’une unité discrète. Ce n’est donc pas une molécule, et ce pour deux raisons : il n’est pas constitué par des liaisons covalentes, et il adopte une structure continue. Le schéma d montre une espèce plutôt inexistante, soit une unité discrète de deux éléments qui ne forment pas des liaisons covalentes. Il fallait reconnaître que ce n’étaient pas des éléments qui forment des liaisons covalentes, donc c’est un peu plus épineux! Toutefois, la distribution des réponses montre que les élèves ne se sont pas posé la question à ce niveau, car leurs justifications tournent toutes autour de la même raison :
« Tous sont des molécules car une molécule est un regroupement d’au moins deux atomes. »
« Une molécule est constituée de 2 ou plusieurs atomes. »
« Elles représentent toutes des molécules car plusieurs atomes sont liés ensembles [sic] par des liaisons. »
« Car ce sont des assemblages d’atomes. »
« Car, cessons [sic] des ensembles d’atomes regroupés qui forment des molécules. »
Éloquent, n’est-ce pas? Une molécule a trois caractéristiques, mais les élèves n’en ont intégrée qu’une seule :
- Une molécule est un regroupement d’atomes…
- … liés entre eux par des liaisons covalentes…
- … dans une unité discrète.
Quelle conséquence sur l’apprentissage de la chimie?
On peut imaginer une tâche qui nécessiterait la compréhension de la distinction fondamentale entre les concepts d’atome et de molécule, pour mettre en lumière l’impact de les confondre. Pour cela, il faut savoir à quoi sert le concept de molécule, dans quel contexte on doit bâtir notre explication d’un phénomène en parlant des molécules.
Un exemple serait le changement de phase d’un composé. J’ai déjà parlé dans un billet précédent de l’évaporation de l’eau, qu’on modélise au niveau submicroscopique. Je me permets de revenir sur cette question ici, parce que je crois avoir de nouveaux lecteurs qui ne se sont peut-être pas attelés à la tâche de lire tout mon verbiage précédent. La question était la suivante :
Cette question a été répondue, durant la dernière année, par trois échantillons d’élèves ou d’étudiants :
- Un groupe (26 élèves) de première année de sciences de la nature, au tout début du premier cours de chimie (chimie générale).
- Un échantillon (11 élèves) de deuxième année de sciences de la nature, au tout début du cours de chimie organique (4 élèves) ou du cours de projet de fin d’études (7 élèves).
- Un groupe (27 étudiants) de première année du baccalauréat en enseignement des sciences et technologies, au tout début d’un cours de première session.
Les résultats, que je vous laisse digérer vous-mêmes, se distribuent comme suit…
J'aimerais que vous me fassiez part de vos commentaires à ce propos, ou à propos d'autre chose, hein, comme vous le sentez!
Bonne fin de journée, à la prochaine!
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