mercredi 9 février 2011

Ébullition du méthanol et de l'éthanol - RÉPONSES

Je rappelle la question d'entrée de jeu:

Question 1
La température d’ébullition du méthanol (CH3OH) est de 64,7 °C.  Celle de l’éthanol (CH3CH2OH) est plus élevée, soit de 78,5 °C.  Pourquoi y a-t-il une différence entre les deux, et pourquoi la température d’ébullition de l’éthanol est-elle plus élevée?  

Section théorique : l’éthanol et le méthanol
Pour donner une idée à ceux qui ne sont pas familiers avec ces substances pures que sont l’éthanol et le méthanol, sachez qu’on les retrouve dans des produits de la vie quotidienne. L’éthanol, c’est l’alcool qu’on boit, celui qu’on retrouve à 5 % dans la bière, à 40 % dans la vodka. De l’éthanol pur (à 100 %), ça n’existe pas vraiment sur le marché. On peut par contre trouver de l’alcool à 94 % dans les SAQ. Ça doit être très mauvais, avec un goût trop fort; c’est principalement utilisé pour faire des cocktails. De l’éthanol à 95 % est communément utilisé en laboratoire, comme solvant (en chimie) ou comme agent stérilisateur (en microbiologie). On trouve aussi de l’éthanol à 99 %, utilisé en laboratoire également.
Note en passant : dans presque tous ces cas, l’éthanol est en solution dans de l’eau, qui compte pour le reste du pourcentage volumique indiqué sur les étiquettes. Parfois, les solutions d’éthanol contiennent aussi d’autres composés que l’eau, notamment des composés aromatiques (pensons à la bière, qui a un goût et une couleur attribuables  à ces molécules supplémentaires en solution).



Quant au méthanol, qui a un nom et une formule chimique très semblables à ceux de l’éthanol, c’est ce qu’on appelle communément l’alcool de bois. On le retrouve presque pur (avec un peu de colorant bleu!) dans le liquide à fondue et le liquide lave-glace pour l’hiver. C’est un composé très toxique : quelques millilitres peuvent suffire à causer la mort si on en boit. Le méthanol est aussi communément utilisé en laboratoire, souvent pour exactement les mêmes applications que l’éthanol, vu leurs propriétés physico-chimiques très semblables.
Très semblables, mais pas identiques. Notamment, leur température d’ébullition est différente (méthanol : 65 °C et éthanol : 78 °C). Le graphique qui suit illustre cette différence, en relation avec l’état (liquide ou gazeux) des substances.
Figure 1: Représentation graphique des températures d'ébullition du méthanol et de l'éthanol.

On remarque que le méthanol, qui bout à 65 °C, est liquide à des températures inférieures à 65 °C et gazeux (sous forme de vapeur) à des températures au-delà de 65 °C. L’éthanol, quant à lui, est liquide « plus longtemps », soit à des températures qui vont au-delà de la température d’ébullition du méthanol.

Ma question, si on la reformule en sachant ce qui précède, pourrait se lire ainsi :
« Puisque l’éthanol et le méthanol sont deux molécules très semblables, comment peut-on expliquer que l’éthanol reste liquide « plus longtemps », à des températures plus élevées, que le méthanol? »
Réponse à ma question : pourquoi l’éthanol et le méthanol ne bouillent-ils pas à la même température?
Voici l’explication. La différence réside dans la nature même des molécules qui constituent les substances. La température d’ébullition d’un liquide est directement attribuable à la forme et au type de molécules qui constituent le liquide. Si on ne connaissait pas la théorie atomique, si on ne croyait pas que la matière est composée de particules très petites et invisibles, on ne pourrait pas expliquer cette différence. 

Figure 2: Représentation de la molécule d'éthanol et de la molécule de méthanol (représentation spacefilling).

Sur la figure qui précède, on voit une représentation d’une molécule de chacune des substances. C’est une représentation, un modèle, qui se base sur de nombreuses observations de laboratoire, mais toutes indirectes : en effet, on ne peut pas voir les molécules, elles sont trop petites. Dans un échantillon de liquide, il y a une très grande quantité de molécules. C’est l’interaction des molécules entre elles qui influencent l’état de la substance (liquide ou gazeux). Si une substance est liquide, ses molécules sont relativement près les unes des autres, et s’attirent entre elles, un peu comme un ballon qu’on a frotté dans nos cheveux se colle sur un mur. Ces attractions sont de nature électrostatique : des charges électriques opposées s’attirent.

Tout dépendant de la force de ces attractions entre les molécules, une substance sera liquide ou gazeuse : si les attractions sont fortes, les molécules resteront collées, ce qui fait un liquide. Si les attractions sont faibles, les molécules ne resteront pas collées ensemble, elles vont s’éloigner et se répandre partout, comme dans le cas d’un gaz.
Quand on chauffe une substance, les molécules se mettent à s’agiter, à bondir et à danser de plus en plus vite à mesure que la température augmente. Ces trémoussements mettent à l’épreuve les attractions entre les molécules, qui peuvent finir par ne plus être assez fortes pour retenir ce paquet de petites énervées. Les molécules très remuantes vont alors parvenir à briser les liens qui les attachent aux autres : le liquide se transforme en gaz. C’est l’évaporation.

Alors, pourquoi l’éthanol bout à une température plus élevée que le méthanol? C’est à cause de la force des attractions entre ses molécules, qu’on appelle les liaisons intermoléculaires. Celles de l’éthanol sont plus intenses que celles que les molécules de méthanol réussissent à faire entre elles. Les molécules d’éthanol « tiennent » mieux ensemble, et ce, même si elles sont possédées par la danse de Saint-Guy… en tout cas, jusqu’à 78 °C! Au-delà de cette température, même les liaisons intermoléculaires de l’éthanol ne sont pas assez fortes pour le maintenir sous forme liquide.
Figure 3: Représentation de l'effet de l'augmentation de la température sur l'éthanol. Dans la première figure, l'éthanol liquide est composé de molécules très rapprochées les unes des autres. La figure du milieu montre que les liaisons qui retenaient les molécules entre elles sont brisées, l'éthanol est gazeux. La figure de droite montre que si la température augmente encore, le gaz prend plus de place: on dit qu'il prend de l'expansion.

Ces liaisons ont été étudiées pour tenter d’en faire un classement et comprendre pourquoi certaines étaient plus intenses que d’autres. Plusieurs facteurs affectent leur intensité. Un de ces facteurs est la grosseur des molécules. Plus les molécules sont grosses, plus elles tiennent bien ensemble. Elles ont plus de « pogne », plus de surface où s’agripper les unes aux autres. C’est exactement ce facteur qui explique la température d’ébullition différente entre l’éthanol et le méthanol : l’éthanol est composé de molécules plus grosses, qui parviennent donc à faire des liaisons intermoléculaires plus fortes entre elles. [Pour les savants : on parle ici de la différence d’intensité entre les forces de dispersion de London, l’une des catégories des forces de Van der Waals.]
Les résultats des élèves questionnés
Cette question a été répondue par 13 élèves de 2e année de cégep, du programme de sciences de la nature. Les résultats, après interprétation de ce que leur réponse (ouverte) donnait, sont présentés dans le tableau suivant.

La réponse attendue, qui invoquait explicitement les liaisons intermoléculaires, n’a été donnée que par 2 élèves. Deux autres élèves ont répondu que c’était la longueur de la chaîne de carbone (soit la grosseur de la molécule) qui expliquait la différence. Cette réponse ne peut pas être considérée comme tout à fait exacte, étant donné que cela n’explique pas pourquoi les molécules se tiennent mieux ensemble, ça ne donne que le critère qui permet de classer deux substances en fonction de leur température d’ébullition.
Quatre élèves (31%) ont dit que c’était parce qu’il y a plus de liaisons à briser DANS les molécules d’éthanol. Cette affirmation traduit  une conception alternative répandue : les élèves pensent que pour qu’un liquide s’évapore, les atomes doivent se séparer les uns des autres, les molécules se briser. Comme on le voyait à la figure 3 ci-haut, les molécules ne sont pas brisées lorsque la substance s’évapore. Ce sont simplement les liaisons ENTRE les molécules qui sont brisées.

Cette conception alternative est aussi observée quand je demande aux élèves de choisir quel schéma représente le plus adéquatement une vue submicroscopique de l’eau qui s’est évaporée. J’ai déjà discuté de cette question dans un billet précédent. Sensiblement la même proportion d’élèves et étudiants répondaient que les molécules d’eau se brisaient durant l’évaporation.

Ça me porte à réfléchir sur la compréhension que les élèves ont de la différence fondamentale entre les liaisons intramoléculaires et les liaisons intermoléculaires. Si les élèves les confondent, comment peuvent-ils ensuite comprendre les principes de solubilité ou de réactivité chimique, qui impliquent des forces entre des molécules de nature différente?
Enfin, sur une note plus cocasse, trois élèves ont opté pour un argument que je qualifierais de tautologique : l’éthanol et le méthanol ont des températures d’ébullition différentes parce que ce sont des composés différents. Ceeeerrrrtes… :P

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